Juliette Grange

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mercredi, novembre 8 2023

"Jaurès, au-delà du matérialisme et du spiritualisme", in ''Les matérialismes paradoxaux'', Classiques Garnier, 2023

La pensée de Jaurès se présente comme un matérialisme singulier et assez complexe. Celle-ci interroge : le matérialisme conduit-il exclusivement à l’athéisme, et même au nihilisme ? Ou bien ne pourrait-il pas plutôt aboutir à une forme renouvelée et paradoxale de spiritualité ? Il s’agit de dépasser l’antinomie du matérialisme et de la spiritualité afin d’envisager une forme laïque de celle-ci qui préserve du désenchantement et donne espoir dans une forme républicaine du socialisme.

Lien vers l'ouvrage : Les matérialismes paradoxaux

Article “Écofascisme et écologie intégrale ou l’utilisation de l’urgence écologiste par les extrémismes de droite”, Revue Cité n° 92

Le terme d’écologie a été forgé pour la première fois en allemand en 1866 par Ernst Haeckel. L’importance de l’équilibre entre le milieu et les vivants et la nécessité de son étude rigoureuse avaient déjà été en partie théorisées en France par Élisée Reclus avec la notion de milieu géographique.
La préoccupation de l’environnement (l’écologie politique) est quant à elle entrée dans le débat politique et est devenue une préoccupation majeure des citoyens plus d’un siècle plus tard, du fait entre autres de l’urgence climatique. Les travaux de l’écologie scientifique n’ont pas souvent été utilisés par l’écologie politique et les deux écologies sont longtemps restées éloignées l’une de l’autre, tant est grande la distance entre le savant et le politique. Ceci est dû également à l’importance des enjeux (la survie de l’humanité, la régulation de l’économie, la conception de la place de l’homme dans la nature) ; les tensions idéologiques ont fait rage et pris le pas sur les travaux scientifiques, toujours prudents et soumis à falsification comme tout travail scientifique.
Cet article étudie trois instrumentalisations politiques récentes de l’écologie par l’extrémisme de droite en Europe. Successivement (1) l’écofascisme et sa relecture contemporaine, (2) le programme écologiste du RN français, (3) l’écologie intégrale telle que définie par certains groupes religieux.

Revue Cités, n° 92, 2022/4, p. 43-55.

Lien vers la revue : Revue Cité n° 92

mardi, juillet 4 2023

Comte - Philosophie politique. Éditions Kimé, parution juin 2023

Auguste Comte. Philosophie politique

Un choix de textes pour éclairer les conceptions politiques du fondateur du positivisme, regroupées dans sa Politique positive en quatre volumes, somme rarement lue et commentée, mais éclairante sur l’invention d’une science politique qui couvre tous les aspects de la vie en société, nationale et internationale. Un ouvrage et une nouvelle notion de la politique dont les postérités furent nombreuses et parfois antagonistes comme l’aborde la postface.

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mardi, mai 23 2023

Saint-Simon ou l'aristocratie des talents, Entendez-vous l'éco ?, France Culture, 22 mai 2023

Quelles sont les spécificités du projet utopique porté par Saint-Simon ? Comment expliquer le primat de la finance, de la compétence, et la minimisation du rôle de l’État et du politique dans sa pensée ?
Saint-Simon rédige une pensée économique originale, en rupture avec les libéraux mais mal reçue par la gauche marxiste. Actif sur la question industrielle, centrale dans son oeuvre, il rédige aussi des écrits plus politiques (L’Organisateur) et même religieux (Le Nouveau christianisme) dans lequel il théorise la sécularisation du sentiment religieux, tourné vers l’industrie. L’économie politique prend chez lui le primat face au politique et au religieux, face au social aussi
Saint-Simon imagine un futur dominé par les banquiers, les ingénieurs et les financiers.
Alors que ses préceptes nourrissent aujourd’hui l’économie sociale, le républicanisme ou encore des débats comme la garantie de l’emploi par l’Etat, la dette publique perpétuelle ou le salaire à vie, la pensée de Saint-Simon est difficile à catégoriser dans les grands courants idéologiques de son temps.

Réécouter l'émission : Entendez-vous l'éco ?

samedi, novembre 12 2022

Le Concept d'organisation chez Saint-Simon. Texte de Jean-Paul Frick, préface de Juliette Grange, postface de Michel Bellet, Classiques Garnier, 2022

L’œuvre de Saint Simon a été peu commentée d’un point de vue philosophique même si Durkheim, Gurvitch ou Ansart ont montré qu’elle était porteuse d’une pensée originale et créatrice, fondatrice des sciences humaines et du socialisme. Parmi les commentateurs, Jean-Paul Frick fait exception car il lit Claude-Henri de Saint-Simon comme doit être lue toute œuvre philosophique : il s’efforce d’identifier « une problématique interne, spécifique et permanente » qui constitue le socle conceptuel de la doctrine.
L’œuvre est considérée comme ayant une unité et l’ouvrage ici édité s’attache à mettre en évidence cette dernière. En prenant en charge l’ensemble des textes de Saint-Simon, l’auteur tente d’identifier les concepts fondamentaux qui la sous-tendent, en particulier celui d’organisation.
Cet ouvrage est fondateur en ce qu'il met en évidence une structure profonde et un concept essentiel qui donnent à l'œuvre de Saint-Simon, souvent découpée par les commentateurs, une véritable unité philosophique à la postérité féconde.

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Edito

Néo-conservatisme On a assez fréquemment analysé les mouvements d’extrême droite populistes et traditionnalistes et leur reviviscence récente en France et partout en Europe, mais un mouvement puissant, étranger à l’histoire politique européenne, s’est fait jour depuis la fin des années 1990. Il s’agit d’un néo conservatisme “à la française”, qui a d’abord eu une expression savante et discrète dans le champ intellectuel en sciences humaines et sociales, en philosophie et particulièrement en philosophie des sciences. Dans la réalité institutionnelle, dans la structuration des équipes de recherche, l’attribution des crédits, des postes et des bourses ou allocations de recherche, les financements des publications et des doctorats, un certain nombre de groupes, agissant dans les instances publiques les plus prestigieuses et largement soutenues par des fondations installées à l’étranger, a transformé profondément et façonné idéologiquement quelques champs disciplinaires, dans des disciplines de taille modeste, comme la philosophie, mais à haute valeur symbolique. Cette mainmise, dont le cœur concerne les réformes des systèmes d’enseignement et de recherche, s’attaque aux fondements républicains et laïques de nos sociétés politiques.
Cette attaque peut être analysée en trois strates :
Premièrement, une stratégie de conquête des institutions universitaires et de recherche. L’objectif étant de prendre en main, à petit bruit, un certain nombre d’institutions de formation et de recherche dans des domaines clés où il importe de former les futures élites et décideurs : l’éthique médicale, la philosophie des sciences sont des secteurs particulièrement touchés, mais on a vu apparaître et prospérer une "philosophie de LA religion" (laquelle ?).
Deuxièmement, former l’opinion par exemple en imposant des thèmes dans la grande presse de vulgarisation (Sciences et vie, Le Monde des religions, …) autour de sujets comme Dieu, la quête de sens, les nouvelles sciences, etc. Diffuser un argumentaire anti moderne sur le Net et tenter également d’imposer cet argumentaire dans les médias, voire dans des productions grand public. Il s’agit alors en s’appuyant rhétoriquement sur l’existence d’une production savante (par exemple en philosophie morale) d’en répandre une version populaire dans le corps social à partir de blogs, de revues, de groupes militants. Persuader nos décideurs politiques qu’affirmer publiquement qu’il y a des racines chrétiennes à l’Europe, ou des lois divines supérieures aux lois humaines et permettant de les contester, peut leur attirer un succès électoral.
Troisième strate, donner une expression politique à ce supposé “mouvement social spontané” en étendant les mots d’ordre anti laïques, à la fois ultra conservateurs et ultra libéraux. Des mouvements comme La Manif pour Tous ou le Printemps français témoignent de cette émergence. Sur le mode du Tea Party américain, il s’agit autant de peser sur la vie politique en général que sur la Droite républicaine et de la prendre en otage. Il s’agit de faire imposer par l’État des mots d’ordre fondamentalistes, anti laïques et anti étatistes (paradoxal, mais efficace et dans la lignée de certains courants d’extrême droite – voir l’Espagne et le rôle de l’Opus Dei au sein du P.P.).
Il faut donc d’abord comprendre d’où vient ce néo conservatisme et comment il s’est structuré, en particulier aux États-Unis.
Le néo-conservatisme “à la française” conserve les traits de cette origine, il veut inspirer les politiques gouvernementales, tout en ayant un sens différent du fait de l’histoire institutionnelle française, mais son modus operandi est, sur de nombreux points, semblable. Il vise bien, comme son inspirateur américain, une prise de pouvoir intellectuelle avec l’objectif d’une révolution culturelle et sociale. Néanmoins, son sens politique est un peu différent, du fait entre autres de l’histoire de l’Église catholique et de son rôle, en France et dans les pays latins en particulier. Comme son homologue d’outre-Atlantique, il s’oppose rhétoriquement au constructivisme “artificialiste” moderne, tout en étant lui-même une construction volontaire extrêmement offensive et polémique. Il présente de forts traits de parenté avec ce à quoi il prétend s’opposer (le marxisme, l’étatisme, le modernisme). Contrairement aux apparences, il vise la prise de pouvoir, non le débat d’idées ou la polémique intellectuelle.
Il nous paraît important de l’identifier et en particulier de délimiter nettement conservatisme et néo-conservatisme, libéralisme et néo-libéralisme. Le néo-conservatisme est étranger au conservatisme usuel et également au populisme réactionnaire et nationaliste des partis d’extrême droite. Ce conservatisme new look se présente en effet lui-même comme une rupture novatrice et non comme une continuité. Il se dit dynamique et producteur de transformations à venir. Yves Roucaute, qui est l’un de ses théoriciens en français, le décrit comme « une philosophie joyeuse qui retrouve le sens de l’histoire ».